Jouer avec humilité pour une « raison supérieure »

Photo des acteurs masqués du théâtre balinaisAu-delà même de sa valeur morale et humaine, j’ai toujours pensé que l’humilité était une caractéristique permettant de progresser dans son activité de comédien. L’humilité n’empêche en rien d’avoir un égo, une certaine assurance et une confiance en soi qui me semblent également nécessaires à la pratique du jeu. Pour certains cependant, l’égo aura une présence naturelle là où l’humilité va être bien plus compliquée à acquérir. Or, je suis convaincu que l’un est aussi important que l’autre.

Certains des points positifs qui découleront de l’humilité seront notamment une meilleure écoute, une meilleure capacité à se remettre en question et donc à trouver de nouveaux chemins, une plus grande facilité à se fondre dans un personnage au service d’un projet… et, au-delà du jeu, des relations souvent plus apaisées avec ses collègues de plateau. De façon générale, l’humilité favorisera en de nombreuses occasions les possibilités de progression et de création. C’est aussi souvent l’humilité qui va nous faire accepter certaines erreurs, certains échecs. Même si c’est souvent l’égo qui va nous donner l’énergie de rebondir. Mais il faut souvent commencer par accepter les choses afin de pouvoir les changer.

Mais est ce que l’humilité est une compétence qui s’acquiert comme ça, naturellement ? Est ce inné ou acquis ? Existe-t-il des recettes permettant de s’octroyer un juste degré d’humilité ? Hum. Questions sans réponse il me semble, et même questions un peu idiotes sans doute. Il n’est pas l’heure de philosopher. Je voudrais juste partager une pensée qui, je crois, aide à aborder son travail de comédien avec humilité. Celle de la « raison supérieure ». Jouer pour quelque chose d’impalpable qui est au-delà de moi et au-delà de mon public. Pour exprimer ce sentiment je vais prendre deux exemples que je consièdre être des « raisons supérieures ». Attention, derrière le terme « supérieure » ce que j’entends est une raison qui serait « au-delà de moi », « au-delà de mon égo », mais sans volonté de prosélytisme vers une quelconque grande vérité absolue.

Tout d’abord je souhaitais mentionner l’approche de Louis Jouvet à travers le livre Le comédien désincarné (j’en ai déjà parlé rapidemment dans cet article sur l’échange épistolaire avec son personnage). Ce livre est davantage un ensemble de réflexions de la part de L. Jouvet que de conseils ou d’exercices. Voici un extrait tout d’abord de ce livre :

«Voilà longtemps déjà que je pratique mon métier, que je le ressens, le surveille comme on surveille une habitude ; il me pénètre, et j’ai pris cette manie d’en chercher les effets en moi et dans les autres, d’en surveiller les manifestations. Tout le théâtre, cet état dramatique en moi, cette habitude de penser et de sentir pour les autres, par les autres et à travers moi-même, cette attitude vis-à-vis d’un tiers offert, de ce tiers qu’est le public, et vis-à-vis de moi, ces reflets que j’en fais et dont je suis fait, ce comportement entre le soi que je suis et le moi que je me suis donné, à travers tant de personnages, tout cela est là, sensible, visible en moi, tout le long de ma journée, et je cherche à le penser, à le lier, à le raisonner, et à m’en expliquer l’agencement, les raisons. Je veux préciser mes sensations, je note dans mes lectures des reflets de mes états (Proust), j’écris des notes, et la vanité de m’exprimer moi-même me rattrape, me rejoint, me retrouve dans ce moment de ma carrière où j’ai découvert cependant (depuis longtemps déjà) que l’acteur n’est qu’une table d’harmonie.»

 

A travers cet extrait, comme à travers l’ensemble du livre, il ressort quelque chose de frappant : un besoin de comprendre et de s’améliorer pour « être à la hauteur ». Louis Jouvet considère son activité avec beaucoup de noblesse. Il y a quelque chose qui transpire de ses propos et qui ressemble à un impératif d’être digne de ce travail. Louis Jouvet joue pour une chose qui se veut être au-delà de lui, son envie de progression vient d’une volonté supérieure à son ego, ce qui le motive est de « rendre grâce » à cet art. Dans son approche de ce métier on peut presque sentir quelque chose de sacré, quelque chose de supérieur à sa propre humanité. Il y a comme une mission et un impératif d’excellence à viser, non pas pour son égo propre, mais pour l’Art du comédien en tant qu’icône universelle et supérieure. L’humilité de Louis Jouvet naît du fait qu’il considère son travail comme étant « au service » de quelque chose de presque sacré et d’une grande noblesse.

Dans un second temps, je souhaitais partager mon expérience de la découverte du théâtre balinais. J’ai eu la chance de me rendre sur cette île indonésienne et d’assister à plusieurs représentations de théâtre masqué.

Dans ce genre d’appproche je n’ai pu m’empêcher de me dire que les acteurs couverts de déguisements larges et entièrement masqués ne pouvait pas jouer pour leur ego. En réalité ils jouent pour quelque chose de supérieur lié à leur spiritualité. Ils jouent pour raconter l’histoire des dieux et ce n’est pas leur personne propre qui compte mais la représentation d’ensemble. Ce qui compte est de transmettre une histoire et de « jouer » dans le sacrement des dieux. A nouveau, j’ai trouvé une très grande humilité de la part de ces comédiens, et à nouveau cette humilité vient du fait qu’ils jouent pour « quelque chose au-delà d’eux même, au-delà de leur présent ».

Pour les Balinais la raison supérieure pour laquelle ils jouent est liée au spirituel et à la religion. Pour L. Jouvet cette « raison supérieure » est liée à son respect pour l’Art dramatique en lui-même et tout ce qu’il représente. Il existe d’autres raisons de jouer qui sont « au-delà » de nous et qui par conséquence nous rendent modeste et humble dans notre travail. Des raisons qui nous empêchent de travailler dans l’aveuglement de l’égo et qui vont nous donner la motivation de jouer « au-delà ». Les temps changent et les réflexions évoluent alors mon avis ne restera peut être pas figé, mais aujourd’hui je crois profondément aux bienfaits de trouver une « raison supérieure » de jouer (qui accessoirement aidera aussi à relativiser les échecs aux auditions). D’ailleurs, être à la recherche de cette raison, peut être une raison en soi, peut être. En revanche, je veux éviter de me dire que ma « raison supérieure » est liée au public car je vois le public comme un mirroir plus ou moins déformant de nous-même, et la limite avec notre égo propre est donc très fine. Je suis persuadé bien sûr que vouloir offrir son art au public est l’une des nombreuses caractéristiques définissant l’art quelqu’il soit, cependant, je ne veux pas que celà soit ma propre, intime et personnelle raison supérieure. Je veux jouer pour une chose impalpable qui est bien plus grande que moi et devant laquelle je ne peux qu’être humble…

…comme ça je vais progresser et devenir le MEILLEUR DU MONDE MOUAH AH AH AH AH AH !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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