Le comédien ne peut se permettre d’être un simple tube de peinture, il se doit lui-même de composer une oeuvre au sein de l’oeuvre dans laquelle il évolue. C’est une réflexion qui me trotte en tête depuis quelque temps. Certains comédiens me diront que « ça va de soi », mais généralement cette vision de la chose est bien plus fantasmée que réellement appliquée. Cette réflexion m’est revenue et s’est précisée hier alors que j’étais invité à la générale de presse pour découvrir la comédie musicale Jack, l’éventreur de Whitechapel, mise en scène par Samuel Sené. Comme toujours, ce blog n’a pas vocation à être critique d’oeuvres théâtrales ou cinématographiques, mais c’était sympa, alors je vous mets au moins le teaser et je reprends l’article.
Comme indiqué donc, le spectacle était très intéressant, divertissant. Un travail de qualité. Pour ma part, comme souvent et malgré moi, mon œil se portait naturellement sur le travail des comédiens. Je ne me permettrai aucun jugement de valeur. Je souhaite simplement faire part de cette réflexion qui m’est venue tandis que je regardais évoluer certains d’entre eux, et notamment en découvrant le travail de Jean-Baptiste Darosey qui campe le rôle de l’inspecteur Abberline. Je me suis justement interrogé sur la raison qui m’a amené spontanément à suivre son travail. La réponse est que pour lui, mais comme pour d’autres, le travail de son personnage était bien un travail de création et représentait une oeuvre en elle-même au sein d’une oeuvre « encadrante » (qui se trouve donc être l’ensemble du spectacle).
Dans la plupart de ses activité, le comédien a cette particularité que son travail s’inclue dans le travail artistique d’un autre. Bien qu’il soit inclus « malgré lui » dans une oeuvre dont il est rarement à l’origine, le comédien va se considérer être un artiste sans toujours effectuer un travail artistique personnel. Je crois voir les choses un peu différemment car pour moi cette vision est celle du « tube de peinture » de l’artiste peintre.
Je m’explique :
Un peintre crée son oeuvre et pour celà il utilise divers outils mais surtout divers ingrédients qui seront constitutifs de son oeuvre. On ne peut pas dire que ces ingrédients soient des artistes en eux-même. Ils sont utilisés par un artiste et dans le cadre d’une oeuvre certes, mais leur apport en reste là. Je me refuse à être le tube de peinture d’un autre artiste. Ou plutôt: je ne souhaite pas être QUE ça.
Bien sûr un beau bleu, c’est joli, c’est agréable à l’œil, on peut en faire plein de choses et ça peut être riche en nuances. La teinte profonde qui lui est propre différenciera peut être ce bleu des autres tubes de bleu. C’est déjà très intéressant, mais ça ne fait pas de ce bleu un artiste. Si le comédien souhaite être « artiste », il ne peut pas se contenter du rôle d’outil ou d’ingrédient (même si à nouveau ça apporte déjà beaucoup, parfois…). Mais la noblesse et la flamboyance de l’art du comédien passeront par la création de son oeuvre propre (dont le support est lui-même) au sein d’une oeuvre encadrante (pièce de théâtre, film, autres…). Le comédien doit lui-même utiliser ses propres tubes de peinture.
Et ça ne va pas de soi. Pour parvenir à ce travail il faut du talent (sous-entendu du travail) car il faut trouver le juste milieu afin que l’oeuvre créée par le comédien trouve sa place dans l’oeuvre encadrante sans la déformer. Il faut que l’oeuvre créée par le comédien soit cohérente avec l’oeuvre du metteur en scène mais doit également être en accord avec les œuvres qu’idéalement ses collègues comédiens essaieront également de créer. Je trouve une certaine noblesse dans ce travail consistant à chercher/trouver l’emplacement parfait pour donner naissance à son art tout en étant un élément de l’art d’un autre. J’y trouve de la noblesse car le travail est complexe, qu’il y a des risques à assumer, qu’elle demande un dosage équilibré de confiance et d’humilité. Et lorsque c’est réussi j’y vois alors de la flamboyance.
Lorsqu’un film est une réussite, c’est encore plus jouissif quand au-delà de cette première oeuvre, on peut découvrir de nouvelles œuvres inclues dans ce film et qui sont les personnages travaillés par les comédiens avec un travail de portraitiste, un travail de création. Nombre de comédiens pense faire celà dès lors qu’ils sont employés dans une pièce ou un film, mais non. Beaucoup d’entre nous nous contentons de faire ce que l’on nous demande de faire avec un travail de création artistique réduit à son minimum pour ne pas dire parfois réduit à rien. Il n’y a à pas de pierre à jeter, mais je crois en revanche qu’il est important d’avoir conscience de ce que l’on fait ou pas. En ce qui me concerne lorsqu’un comédien nous propose un travail dans lequel son personnage possède une profondeur artistique personnelle issue d’un travail d’analyse, de réflexions, de tentatives, d’échecs, de répétitions celà me fascine. Et si plusieurs comédiens du film s’épanouissent individuellement dans leur travail artistique en parvenant à créer une oeuvre harmonieuse aux œuvres de leurs collègues et à l’oeuvre encadrante, c’est là que les choses peuvent devenir époustouflantes.
J’adore regarder le travail de mes collègues. Dans le fond, quiconque, dès lors qu’il pose le pied sur une scène, devient intéressant à observer et donne matière à réflexion. Là, le travail de Jean-Baptiste, la précision de son personnage, sa façon de parler, de se mouvoir, de tenir son attitude a été très inspirant. A partir du moment où le personnage créé me donne envie de suivre ce personnage au-delà de l’histoire dans laquelle il évolue, c’est que ce personnage est un travail de création artistique en soi et c’est chouette. Et là j’aurais volontiers continuer à suivre l’inspecteur Abberline dans une autre histoire ou même le regarder évoluer juste pour lui-même, comme on regarde un tableau, sans même avoir besoin de l’oeuvre encadrante.
Je me souviens avoir pris un verre avec avec un réalisateur orienté « technique » pour qui le comédien ne devait être qu’un outil sage et performant, n’ayant pas à réfléchir au-delà de ce qui lui était demandé, un peu comme une caméra ou n’importe quel outil technique, sans quoi il risquait de perdre du temps sur le tournage et il ne voulait pas prendre ce risque. Oui on peut travailler comme ça. Ce n’est pas ce qui me touche le plus en tant que spectateur car on sent le manque de travail créatif qui doit être constitutif cette oeuvre artistique qu’est le personnage. Et ce n’est pas ce qui m’épanouit en tant que comédien non plus, car celà me fait tomber dans la fonction de « comédien-industriel », là où j’ambitionne d’être un « comédien artiste » ou à défaut un « comédien-artisan ». On en reparlera…
Bon weekend !!
Bonus : Si vous entendez parler de workshops prochainement avec Jos Houben en France ou à l’étranger, laissez nous un commentaire sur le blog, je prends ! Et pour ceux qui ne connaissent pas, vous pouvez découvrir un exemple de son travail et de son approche (il est passionnant) dans cette vidéo en 2 parties : https://www.youtube.com/watch?v=LtWqbXVsA3U . Vous pourrez aussi trouver des extraits de sa conférence sur l’Art du rire.