Particularités corporelles et posture globale du personnage. Réparer son corps pour mieux le casser.

Issue du site Prana Yoga Classes
En me promenant il y a quelques jours, je repensais à la performance de Daniel Day-Lewis dans There will  be blood de Thomas Anderson. A travers son rôle de Daniel Plainview, et comme souvent, M. Day-Lewis est une source d’inspiration pour tout acteur. L’angle qui me fascina lors de ma petite promenade était la création du fonctionnement corporel de son personnage.  Ce dernier, ayant un handicap à la jambe, adopte une démarche particulière qui se fait ressentir dans l’ensemble de son corps y compris dans le haut du corps avec une subtilité ou plutôt un réalisme déconcertant.
Bref, tout celà me rappela combien j’essayais moi-même de mettre en place un travail corporel général qui me permettrait de mieux maîtriser cet aspect du jeu. Et j’en suis arrivé à cette réflexion assez paradoxale : Je souhaite depuis quelques temps me « réparer » corporellement afin de pouvoir revenir à mes défaut en toute conscience / maîtrise. Lorsque l’on propose une caractéristique physique à son personnage (ce qui est un engagement créatif qui me plaît bien), celle-ci doit bien sûr être maîtrisée et volontaire.

Comme j’en parle régulièrement (notamment dans ce retour vidéo d’audition), l’un des axes de progression sur lequel j’ai mis la priorité depuis bientôt 2 ans est ma gestion corporelle sur scène ou en plateau. En effet, naturellement, les spécificités de mon corps et mes habitudes de mouvement me laissent avoir une démarche « traînante », un haut du corps qui se « casse » vers l’avant, une épaule droite qui tombe légèrement par rapport à la gauche. Sur l’image d’illustration de cet article je dirais que c’est un mélange de « Flat Pelvis » et « High Shoulder ». Ca fait un peu Quasimodo dit comme ça, je préfère quand je me lance des fleurs… je vais pleurer je reviens.

Ca va mieux, merci, reprenons.

A un moment, je me suis rendu compte que mon travail de création sur mes personnages avait besoin que je puisse reprendre le contrôle sur cette démarche/attitude qui me limitait forcément. J’ai commencé par chercher le pourquoi de ce fonctionnement. Je crois fortement que celà vient tout simplement du fait qu’entre 6 et 15ans (attention nouvelle séquence émotion), j’étais un poids plume et je portais sur une seule épaule (parce que quand même c’était plus badass) un cartable qui faisait parfois le tiers de mon poids (trop triste, pauvre choupinou). Résultat : mon épaule droite s’affaisse et, comme c’est lourd, je me casse en deux pour porter ce cartable et je laisse tomber le haut de mon corps vers l’avant obligeant mes pieds à rattraper au dernier moment, et donc « à les traîner », le déséquilibre créé. Ce fonctionnement sur toute ta période de croissance bien sûr ça laisse des traces.

A partir du moment ou j’ai accepté de le voir et d’en prendre conscience, je me suis demandé comment travailler dessus en sachant que ce serait un travail de long terme (mais tout Art est un travail de long-terme… sans terme même). Solutions : Aller chez  un ostheo/kiné, se mettre un peu plus à la musculation, prendre des cours de danse classique et tout simplement avoir conscience de mon corps et essayer de corriger ma posture au quotidien pour recréer un nouveau « shéma musculaire ». Au départ, je me souviens de période où j’avais des doutes sur « comment marcher naturellement », c’est quand même dingue… Je n’arrivais plus à savoir quand est ce que mon corps était droit ou non, quand est ce que ma démarche était naturelle ou non. Je me suis complètement perdu entre ce que mon corps avait toujours fait avant, ce que je lui demandais désormais de faire et ce qu’il faisait réellement maintenant. C’est dingue de se dire à 30 ans passés, « Merde je ne sais pas comment marcher ! ». Bref 2 ans plus tard, le travail paie bien sûr et beaucoup de choses vont beaucoup mieux ! Bon bourré et fatigué, je retombe un peu dans mes travers… classique.

En tout cas, ce jour-là, pendant ma promenade et en pensant à Daniel Day-Lewis je me suis dit : « Mais…mais bon sang…je crois que je me tiens enfin droit et que je marche normalement sans m’en rendre compte ! Enfin ! Et dire qu’à une époque j’en étais à me demander c’est quoi marcher normalement ? « . Immédiatement, je me suis dit que ce contrôle corporel m’ouvrait de nouvelles portes pour mes personnages et je me suis amusé à tester des choses. Bien sûr à un moment j’ai voulu tester mon « ancienne » démarche qui pourrait éventuellement fitter un personnage. Et là bim d’un coup, tout s’est mis en place dans la seconde, l’épaule qui tombe, le corps cassé, la démarche traînante… tout était absolument cohérent, réaliste. Cette démarche globale en arrivait même à donner l’idée d’une histoire derrière ce corps. Aujourd’hui, je pourrais très naturellement construire un personnage avec cette attitude qui serait non plus subie mais totalement volontaire. Et ça, ça fait plaisir !

Mais ce que je retiens surtout, c’est que lorsque l’on souhaite donner une caractéristique physique à un personnage, on ne peut pas se contenter de la lui affecter « localement ». On ne peut pas se contenter de le faire boîter, de lui bloquer le bras, de lui donner une inclinaison de cou inhabituelle. Ce qu’il faut, c’est inscrire cet élément dans un tout cohérent. Le moindre petit choix de posture dans la réalité aura une conséquence sur l’ensemble du corps. Un seul petit élément, avec le temps, construira une musculature particulière, spécialement sur les petits muscles dont on n’a pas conscience. Il s’agit de préparer l’intégralité de son corps. Un simple petit blocage au bras a forcément une répercussion sur le reste du corps, sur son fonctionnement, sur sa posture, sur la répartition du poids du corps ce qui entraîne une musculature spécifique. Cette musculature spécifique peut ne pas être décryptée à l’œil nu et muscle par muscle, mais elle se ressent dans le fonctionnement global du corps. Il faut toujours se demander si une particularité corporelle est une cause ou une conséquence des autres particularités du corps. Je suis à peu près certain que discuter avec un kiné ou un osthéo peut aider à appréhender tout ça dans son travail d’acteur.

Chaque caractéristique de son personnage DOIT être englobée dans un tout qui va du haut de la tête au petit doigt de pied et qui passe même par le « psychisme ». C’est à cette condition que le travail proposé par le comédien sera fascinant de précision et « magique » pour le spectateur qui n’aura pas conscience de tout le travail derrière le naturel désarmant de votre création.

Daniel et moi on vous dit A plus !

Comédien Daniel Day-Lewis dans There will be blood
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