Il y a quelques jours je regardais l’un des derniers films que je n’avais pas encore pris le temps de découvrir dans la filmographie de Tom Hardy. Il s’agissait de Legend de Brian Helgeland dans lequel T. Hardy joue les rôles de deux jumeaux. Une double prestation, parfait, rien de tel pour ressentir et comprendre davantage encore sa façon de travailler. J’ai alors pensé que je pourrai même faire un petit dossier sur son jeu, illustré d’un montage d’extraits de ses performances dans diverses œuvres, et plus encore, j’ai pensé que ces dossiers spéciaux sur le jeu d’un acteur spécifique pourrait devenir une rubrique à part entière pour le blog. Je me suis alors rappelé que ça me rapportait pas un rond toutes ces conneries et que je devais garder un peu de temps libre pour gagner ma vie. Je vais donc, pour l’heure, abandonner mon idée initiale mais profiter tout de même du jeu de Tom-Tom pour rebondir sur un autre sujet : le nécessaire engagement créatif du comédien.
Nous, petits acteurs, sommes nombreux, très nombreux. Mais combien d’entre nous proposent un véritable apport artistique dans son jeu ? Je parle d’un VERITABLE apport artistique. Un acte de création. Je regarde beaucoup le jeu de mes camarades, j’aime ça , profondément. Mais pour combien d’entre eux ai-je l’impression de vraiment découvrir une création artistique à travers leur travail ? Hélas, peu. Nombre d’entre nous proposent de la justesse, du naturel, de l’habileté émotionnelle, de l’assurance… et, ne faisons pas la fine bouche, c’est déjà un travail à saluer étant donné la densité d’apprentis-comédiens qui galère à acquérir ce minimum « technique ». Mais pourtant, n’est ce pas fortement insuffisant ? Ne manque-t-il pas le truc en plus ? Toute ces façons de jouer, très proches les unes des autres, n’est ce pas trop scolaire, trop homogène, sans saveur ? N’est ce pas chiant à la longue ? Est ce que ça ne manque pas d’audace, de risque… d’engagement créatif ?
Il y a beaucoup de choses que je souhaitais mettre en avant dans le jeu de Tom Hardy : son travail sur les accents et sur la façon dont parlent ses personnages, la manière dont même en étant à l’écoute de son partenaire son regard donne l’impression d’être profondément nourri par des événements qui se passent « hors champs » mais surtout et aussi ses grommellements ! Parmi tous les aspects de son jeu, sa façon de grogner est pour moi un détail qui illustre le plus explicitement son engagement artistique (vous aurez compris que le terme engagement ici n’a AUCUN SENS POLITIQUE). Que ce soit dans Taboo, Mad Max, Lawless… vous comprendrez vite de quoi je veux parler : Tommy aime grommeler ! Dans un concept similaire, mais un peu détourné, les personnages de Hardy vont parfois non pas grommeler mais ajouter des « well… », « ok… », « yeah.. » (Legend, Peaky Blinders…) totalement libres, presque pour lui-même, et qui sont dans une démarche artistique similaire aux grognements. Ce sont de petites touches de couleurs ajoutées à ses personnages. Et il n’y a aucun doute sur le fait que ces mugissements et ces « ok » ne sont pas pécisés dans le scénario, et que ce n’est pas non plus son metteur en scène qui lui indique de les placer. Il les rajoute lui-même quand il le souhaite dans un élan créatif lié à son personnage. Voilà, c’est tout bête mais pour moi il s’agit là d’un engagement créatif. L’acteur propose quelque chose qui lui est propre, qui est risqué mais qui va apporter des couleurs fascinantes à son jeu. On est d’accord un grognement n’est pas suffisant, celà s’inscrit dans une démarche globale. Et on est d’accord, il peut y avoir le risque de passer pour un con. J’ai déjà essayé d’intégrer un geste qui me semblait être né d’une inspiration géniale et de me faire reprendre par le réalisateur :
– Heu bon tout le début ça allait… mais pourquoi t’as fait ça à la fin ?
– Hein, quoi ? (sachant parfaitement de quoi il parle mais n’assumant pas)
– Ce truc chelou avec ta main et ton oreille…
– Ah euh…j’ai fait ça ? Ah c’est involontaire hihi, heu désolé…
Mais non, ne soit pas désolé mon ami !! Prends des risques et assume-les ! Si c’est raté, c’est raté, basta ! Mais si tu sens que ton envie créative a du potentiel prends le temps de mieux l’intégrer à ton personnage, à ta scène, à l’ensemble du film, prends le temps de mieux redéfinir ton personnage et propose à nouveau quitte à en expliquer ta vision. C’est aussi là que tu verras la qualité de ton réalisateur. Certains vont simplement te squeezer, incapables de voir au-delà d’une imagination manquant de profondeur et de recul : ceux-là sont dangereux car c’est ceux qui à terme tuent l’élan artistique des comédiens (quand on passe pour un con une fois, faut avoir les épaules solides pour ne pas se dégonfler et accepter de reprendre des risques). Et d’autres réalisateurs, plus subtils, vont savoir t’aider à développer ta patte artistique avec l’intuition que ton travail apportera à terme une vraie plu-valu à leur film. Je me souviens à une époque me définir comme « un outil au service du réalisateur », aujourd’hui je refuse de m’auto-inscrire sous une étiquette aussi réductrice. Bien sûr je reste au service d’un projet et d’une oeuvre. Bien sûr j’essaie d’être aussi malléable et à l’écoute que possible. Mais je veux aussi dans mon travail et dans mon art proposer un engagement créateur qui m’est propre et qui sera par essence forcément novateur par rapport à la vision du réalisateur.
Ouai, on fait dans le rebelle Au Petit Comédien, t’as vu ! |
Voici un article en anglais du Great Acting Blog : Actors need to be so much more qui développe une pensée similaire et que je vous propose de découvrir. Pardon pour les non-anglophones, je manque cruellement de temps pour le traduire. De façon sommaire l’auteur a l’impression que depuis quelques temps maintenant les acteurs ne s’expriment plus beaucoup sur l’Art de jouer. On entend bien plus les réalisateurs et metteurs en scène que les acteurs eux-mêmes sur le sujet. L’auteur de l’article pense que celà peut venir d’un manque de confiance des acteurs qui perdent la main sur leur travail (également en raison de difficultés économiques) à l’opposé des acteurs d’anciennes générations qui étaient dans une plus grande maîtrise de leur création (n’hésitez pas à redécouvrir notre article sur la conférence de Vincent Amiel qui aborde en partie ce sujet : Comment le corps vient aux hommes. Jeu de l’acteur américain). De nos jours les réalisateurs ont pris le pas pour définir le jeu. Les acteurs n’ont plus à prendre l’initiative. Selon James Devereaux, l’auteur de ce blog, cette disparition de l’acteur dans ce processus de recherche, de formation, de création, de transmission… est en partie liée au cynisme avec lequel sont traités les acteurs, qui ne sont souvent vu que comme du bétail. Voici tout de même la traduction d’un petit passage car je le trouve profondément en phase avec la vision du blog Au Petit Comédien :
« […] The esteem among actors for what they do is collectively low. Few actors see themselves as artists, and consequently they see no need or lack the consciousness to deliver great truths about acting or define aesthetics. An actor told me recently that most are just “grateful” for the chance to work. We need to be so much more than that. […] »
« […] Dans l’ensemble, l’estime que se portent les acteurs sur ce qu’ils font est basse. Peu d’entre eux se voient comme des artistes, et en conséquence ils ne voient pas le besoin ou n’ont pas la conscience de transmettre de grandes vérités sur l’art de jouer ni même d’en définir une esthétique. Un acteur m’a dit récemment que la plupart d’entre eux se contente d’être « reconnaissant » d’avoir l’opportunité de travailler. Nous avons besoin d’être bien plus que celà. »
Pour ma part je dirais que beaucoup se pensent artistes mais ne sont pas véritablement créateurs dans les faits. C’est donc aussi cette pensée qui est liée à l’engagement créatif dont je parle.
Dans l’Observatoire de bande démo du blog, lorsque nous décidons de faire un focus sur le travail d’un comédien, c’est qu’en plus de toutes les qualités techniques que beaucoup d’autres comédiens possèdent (les qualités de justesse, de naturel…), nous y voyons aussi ce truc en plus, cet engagement créatif, qui nous place face à une oeuvre créée pour chaque personnage proposé… et je vous assure que ce n’est pas évident à trouver. La justesse et le naturel, sans apport supplémentaire, c’est ennuyeux. C’est une étape pour démarrer, c’est une étape de formation. Mais nombre d’entre nous se contente de ce jeu scolaire. L’Art de jouer doit être nourri de plus d’originalité, de créativité, d’engagement. Acceptons certains risques et certains échecs car sur du long terme assumer SA patte artistique me semble nécessaire pour être véritablement défini comme comédien / acteur / artiste… que votre carrière connaisse une véritable notoriété ou non, que votre public soit un Directeur de casting ou votre chat dans le fond de votre cave.
Nous ne pouvons nous contenter de livrer un simple dessin vite fait, encore moins si il a été mal recopié, nous DEVONS produire de beaux tableaux originaux dont chaque élément a été soigneusement pensé et représentatif de notre art propre.
Nous ne pouvons nous contenter de livrer un simple dessin vite fait, encore moins si il a été mal recopié, nous DEVONS produire de beaux tableaux originaux dont chaque élément a été soigneusement pensé et représentatif de notre art propre.
Je peux aussi me fourvoyer totalement.