Le besoin d’être acteur chez beaucoup est réel mais les moyens mis en oeuvre pour le devenir sont fictifs. Nous ne pouvons pas dénigrer le besoin que chacun ressent de vouloir « exister » aux yeux des autres. Ce besoin est humain, c’est un besoin de reconnaissance auquel chacun à un droit légitime. Si les théories psycho-sociologiques sont votre dada, je vous réfère à la pyramide de Maslow (tout en insistant sur le fait que c’est sympathique à découvrir MAIS que ce ne sont que des théories non fondées scientifiquement). Néanmoins, tout besoin peut se radicaliser. De même que le le besoin de propriété peut se transformer en cupidité, le besoin d’appartenance en communautarisme, le besoin de reconnaissance, lui, peut tendre vers une addiction malsaine égocentrée.
Le besoin de reconnaissance radicalisé par des tendances sociétales
Il est tentant de penser que certaines caractéristiques de notre société font gonfler notre besoin de reconnaissance :
- Mise en avant d’influenceurs et super-stars, présentés comme des exemples à suivre, dont « la vie de vitrine » est en grande partie truquée et fantasmée. Au-delà de leurs styles de vie / causes à défendre / principes, ce que nous voulons réellement copier c’est la reconnaissance dont ils jouissent. Peu importe le moyen, je suis prêt à sacrifier ou à transformer mes principes, croyances, éducation au nom d’une reconnaissance possible.
- La possibilité d’obtenir une exposition de masse, internationale, de plus en plus facilement grâce aux réseaux sociaux. On sacrifie ici la qualité d’une relation contre une « quantité de relations ». 50 « likes » d’inconnus et de profils fictifs valent mieux qu’un pouce vers le bas de ma maman ou d’un ami.
- La facilité de « tricher » sa vie grâce à la démocratisation d’outils divers de captation et de retouches d’images, de « mise en scène »… Au-delà de la simple retouche photo individuelle, on ne compte plus le nombre de pseudos coachs/escrocs dont le design des sites, photos ou vidéos laisse penser au grand professionnalisme de leur activité (mais si vous savez les « grands experts » qui vous promettent épanouissement, spiritualité, argent et pouvoir pour 2 francs 6 sous)
Mais vers où me dirigent ces pensées ? Et bien sur une croyance simple : la forme gagne du terrain sur le fond.
Devenir créateur et acteur pour contrer sa propre solitude
En parallèle de cette idée, il me semble que la solitude dans notre société actuelle est de plus en plus présente. Je n’épiloguerai pas sur ce point, c’est une sensation personnelle qui demanderait à être validée (exemple de source). Je crois que cette solitude crée une envie de plus en plus forte d’être « acteur », acteur de quelque chose. La solitude peut créer un vide, un manque de repère, dans lequel notre propre consistance risque de disparaître. Pour combler ce vide, pour nos rassurer et nous redonner une « raison d’exister » nous devons trouver le moyen d’être créateur. A celà rien de mal, bien au contraire.
Il se trouve que notre métier de comédien est une niche fantastique pour répondre à ce mash-up qui comble à la fois ce besoin d’être « acteur de quelque chose » pour fuir sa solitude (déjà littéralement qu’est ce qui pourrait davantage être « acteur » qu’un acteur ?) mélangé à ce besoin de reconnaissance (même fictive). Seulement, dans cette optique, l’activité du comédien risque de se galvauder. Ainsi, si la forme prend le pas sur le fond, nombre d’entre nous se laisser tenter par l’espérance qu’on devienne acteur en « montrant » et diffusant des images dont l’impact visuel est marquant mais dont la signification profonde est faible ( Vous vous souvenez du slogan de Rémy Gaillard ? « On devient n’importe qui en faisant n’importe quoi », nous sommes en plein dans la caricature de ce propos !).
Désormais le métier d’acteur est hélas dans l’esprit de beaucoup de personnes associé à cette vision facile. Il est nécessaire de redonner du sens à cette activité !
Un comédien ne doit pas être un créateur de bouteilles vides.
Le besoin d’être protagoniste ne pose en soi aucun souci mais devenir créateur de vide ne satisfera pas son auteur. Je crois profondément à la dimension artistique du comédien et je crois profondément que cette dimension artistique se développe et se bonifie par l’éducation aux autres arts. Le comédien doit être nourri par bien plus que des besoins auto-centrés, il lui est nécessaire d’avoir une éducation à la musique, au dessin, etc… pour pouvoir s’inscrire dans un mouvement de création supérieur à sa propre personne.
On ne peut pas renier l’envie ou le besoin légitime de chacun à vouloir être acteur mais ce sont les moyens mis en oeuvre pour le devenir qui feront la différence (et permettront possiblement un épanouissement personnel réel). Ces moyens ne peuvent se limiter à des partages de statuts Facebook ou de posts Instagram ( outils que je prends moi-même plaisir à utiliser ce n’est pas la question : Cf colonne de droite 😉 ). Il y a toute une éducation à apporter qui permettra à chacun de positionner son art du jeu par rapport aux autres arts, à l’Art en général et à son histoire. Réfléchir sur son art, sur sa place en tant qu’artiste, apporter du fond à son activité pour ne pas être créateur de bouteilles vides. C’est en grande partie aux écoles de théâtre d’apporter cette dimension spirituelle aux apprentis comédiens mais aussi à chacun de nous qui souhaitons défendre notre art du jeu et lui redonner quelques lettres de noblesse.