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Intra-Muros d’Alexis Michalik |
Il me semble entendre dire régulièrement que le public est bienveillant, que le public accepte de de se prendre au jeu, qu’il y a un pacte tacite entre l’acteur et le public : « Toi acteur, si tu fais ton job sincérement sur scène ou à l’écran, Moi spectateur j’accepte de te suivre dans ton monde et de pallier au manque de réalisme du décor ou de la situation ». Je suis plutôt d’accord avec cette vision, et lorsque ce n’est pas le cas, c’est que votre public est constitué soit d’autres comédiens soit de gros relous. Pour le reste, il me semble que le public, est prêt à vous croire et à vivre l’histoire que vous lui proposez. Le comédien pourrait surfer facilement sur cette bienveillance, mais hélas, comme on n’est pô mâlin beaucoup d’entre nous se tire une balle dans le pied en offrant au public l’opportunité de se rappeler que tout est faux. C’est couillon quand même…
Depuis peu, cette phrase est devenue l’un de mes mantras en tant que comédien « Ne pas donner au public l’occasion de se rappeler que l’on est sur scène ». Me répéter cette sentence me permet d’éviter certains écueils et m’aide parfois de faire les bons choix entre diverses options. C’est également un principe qui peut aider le comédien qui a tendance à sur-jouer. On peut parfois vouloir accentuer, forcer certains gestes car on veut transmettre plus de choses… mais lorsque l’on manque de recul sur son travail, on ne se rend pas compte que ces mouvements sonnent faux. Ces mouvements essaient de forcer le spectateur à voir quelque chose, c’est voué à l’échec. La seule conséquence de ce type de mouvements est de rappeler au spectateur que tout est faux et de le sortir de votre histoire… c’est dommage. Au mieux vous passez pour un
cabotineur, au pire… heu… il n’y a pas de pire ce n’est que du théâtre, ne nous formalisons pas non plus ! Je reprends : Au mieux vous passerez pour un débutant maladroit, au pire pour un cabotineur (ah ça va mieux !). Mais celui pour lequel c’est le plus dommage c’est pour le spectateur qui ne demandait qu’à vous croire et à s’embarquer dans votre histoire, vous n’aviez rien à faire et surtout pas à essayer de le forcer à vous croire, ça n’aura eu que l’effet inverse.
Ce que le spectateur sait faire c’est de vouloir croire à une histoire; l’y forcer en revanche ne fonctionnera JAMAIS et entrainera même une aversion du spectateur pour la représentation (cinématographique ou théâtrale). Le spectateur est capable d’accepter naturellement beaucoup de choses : qu’il n’y ait pas de décor, que l’époque soit différente, qu’il y ait de faux raccords, qu’un même acteur joue différents personnages, que le scénario ait des lacunes… Le spectateur est capable de passer au-dessus de tout celà, MAIS SI un comédien vient lui rappeler dans chacun de ses gestes que tout est faux, ça risque de ne pas bien se passer. Il n’y a pas lieu de mettre des bâtons dans les roues du spectateur qui fait déjà l’effort de passer outre de nombreux détails. Alors comédiens, soyons sympas, acceptons de nous couler dans l’histoire et de ne pas donner au spectateur des raisons d’en sortir à travers des mouvements que vous forcez. Si vous forcez c’est que ça n’a pas sa place !
Parenthèse :
Oui mais on dit qu’il vaut mieux en faire trop que pas assez ?
Oui enfin en répétition surtout, histoire de pouvoir gommer et affiner les choses ensuite.
Parfait ! Il n’en fait pas des caisses, moi j’y crois, il est mort le toutou 🙁 … Oh noooooooon !!!!
Oui, mais en même temps tu fais (j’avoue je me tutoie) un article sur
l’engagement créatif nécessaire du comédien mais comment le comédien peut apporter de lui-même si il doit s’effacer pour ne pas encombrer le spectateur ? L’un empêche pas l’autre. En revanche, ça rend nécessaire une chose qui s’appelle le travail. Si vous donnez un tic corporel ou une attitude spécifique à votre personnage, ne le faites pas juste pour le faire, faites le parce que vous en ressentez le besoin, parce que vous êtes persuadé que celà va ajouter de la valeur à la représentation, mais surtout faites le si vous l’avez travaillé dans un tout cohérent… et que vous avez
travaillé ce tic ou cette posture tant de fois qu’elle fait partie de vous, ou mieux encore qu’elle fait partie de l’histoire. Tout ce travail doit être fait en amont et non pas au dernier moment face au public, il ne faut surtout pas jouer pour le public sur le moment ! Il ne faut plus réfléchir à tout celà une fois sur scène. Soit les choses sont présentes naturellemment, soit elles ne le sont pas, et dans ce cas, la représentation n’est pas le moment d’aller les chercher… tant pis vous travaillerez et intégrerez mieux les élements manquants le prochain coup.
Ne faisons pas nos autruches, au fond de lui, chaque comédien sait parfaitement si il est en train d’être sincère dans son jeu avec une réelle proposition artistique ou si il s’adonne à du cabotinage facile; si il a suffisemment travaillé pour que son personnage devienne totalement naturel ou si il se contente de faire croire qu’il a travaillé pensant dupper le public.
Alors à nouveau, se rappeler que le public accepte spontanément de nous croire peut nous aider à ne pas vouloir sur-jouer. Récemment je suis allé voir Intra-muros d’Alexis Michalik, dans ce spectacle comme dans beaucoup de ses spectacles d’ailleurs, il apparait clairement que le metteur en scène fait confiance à la bienveillance et à l’imagination du public, et regardez le succès de ce metteur en scène ! Bien sûr nous sommes là à l’échelon de la mise en scène théâtrale, mais je pense que le spectateur est tout aussi bienveillant au niveau du jeu du comédien. Si, en tant que comédien, nous ne sommes pas capable de faire passer un message subtilement ou de faire comprendre l’intériorité du personnage, alors il est préférable de faire confiance au spectateur pour combler ce manque par son imagination et son envie d’y croire plutôt que de forcer notre jeu et de donner des raisons à ce spectateur de se rappeler que « tout est faux ».
En conclusion :
1) Il faut faire confiance au public, mais il ne faut pas se foutre de sa gueule.
2) Il ne faut pas craindre l’engagement créatif mais il faut beaucoup travailler, croire sincérement à ce travail, et, en cas de performance non convaincante accepter de se tromper en s’interrogeant honnêtement sur ce qui a faussé notre approche dans le travail sur tel ou tel personnage.
Enfin ce que j’en dis moi… et vous ? Vous en dites quoi ?