Le vertigineux fossé entre le spectateur et le comédien

Les comédiens et les spectateurs se rendent au théâtre dans des états d'esprit si différents que si l'un essaie de se mettre à la place de l'autre, la sensation peut sembler vertigineuse. Si le spectateur peut retomber dans la passivité et le confort de son fauteuil en revanche pour le comédien celà peut générer un trac mal venu avant sa représentation (à moins d'être un peu masochiste).

Rappel sur une montée d’adrénaline et de trac dans ma petite vie de comédien.

Il est 18h, je suis dans le métro direction métro Télégraphe pour aller jouer dans le petit Théâtre de l’Orme et ses fameux piliers en milieu de scène.

Le Théâtre de l’Orme et ses légendaires piliers !
Crédits : Théatre de L’Orme..

Généralement, je suis dans ma bulle, musique dans les oreilles, j’ai besoin de me conditionner tranquillement à l’avance. Mais malheur… je sors de ma bulle et, peu à peu, je commence à m’imaginer que je me rend au théâtre non pas en tant que comédien mais en tant que spectateur…. et là, stupeur et tremblements, vertige !

« Je n’ai pas la pression, je n’ai pas la pression, je n’ai pas la pression… »

Une montée d’adrénaline, un stress, une angoisse, une envie de ne pas aller jouer m’envahissent. Je venais d’être confronté au fossé vertigineux qui sépare l’énergie du spectateur à celle du comédien…. et jamais un comédien sur le point de monter sur scène ne devrait s’en rendre compte !

Pourquoi ? Comment ?

Les énergies du comédien et du spectateur opposées

Si le comédien et le spectateur doivent être dans une relation de confiance et de complémentarité, ils sont surtout dans des états d’esprit à l’opposé l’un de l’autre.

Le comédien se doit d’être concentré. De rentrer dans son univers (ou celui de l’histoire), d’être avec lui-même et ses partenaires, de faire abstraction du public. Il est un funambule sur le fil du jeu, un fil parfois tendu à la limite de la rupture (et si la rupture arrive, mazette…mieux vaut avoir de l’expérience et de la confiance en soi). Pour évoluer dans ce contexte en donnant une impression de facilité et de maîtrise, le comédien doit dépenser une quantité d’énergie considérable. Il y a tant à penser, à contrôler, à maîtriser tout en ne pensant, ne maîtrisant, ne contrôlant rien. Tout celà se joue dans le fin fond du cerveau et des tripes, dans l’instinct. Les qualités/compétences utilisées (adaptation ultra-rapide, répartie, conscience décalée, sang froid, décision éclair sur retour d’expérience…) consomment une énergie extraordinaire. Certains viendront vous dire, « Mais non ! Il suffit d’être soi-même. Actors Studio ! Ca ne demande pas d’énergie d’être soi-même !  » Si seulement c’était aussi simple… et si seulement prononcer le mot Actors Studio créait en soi l’absolu du jeu parfait…(mais bref c’est un autre sujet…j’en parle un peu ici d’ailleurs ).

Le spectateur, lui, vient libéré de toute pression. Si il veut profiter au mieux du spectacle, il se doit d’être insouciant, innocent, naïf. Il ne doit ressentir AUCUNE pression. D’ailleurs, lorsqu’un spectateur vient voir jouer une connaissance ou un ami, il profite généralement moins du spectacle, car il s’angoisse pour l’autre et ne se met pas dans une disposition de liberté de ressentir, de vivre, de communier.

Bref, les deux situations sont dans un antagonisme absolu. Et ce jour là, dans la rame de métro, à une heure de jouer, je me suis imaginé aller au spectacle en tant que spectateur, insouciant, facile, dans l’attente de voir les autres se produire et dépenser de l’énergie. Presque avec un plaisir sadique : « C’est vraiment un luxe, je vais poser mon cul dans un fauteuil bien confortable pendant que des gens vont se produire devant moi avec le risque qu’ils se plantent dans le texte ou fassent de la merde, mais c’est pas mon problème, à eux de gérer et de me faire passer un bon moment. Youpi ! J’adore aller au théâtre ! »

Le spectateur peut être impressionné lorsqu’il s’imagine être comédien, à l’inverse le trac peut saisir le comédien qui, avant de jouer, fait l’erreur de se mettre à la place du spectateur.

Sauf que badaboum et big boum badaboum ! Le mec sur scène ça allait être moi, et les spectateurs, sans doute, certains des passagers du métro assis autour de moi qui commençaient à me voir suer. Allez maintenant va remonter la pente et retrouver ta concentration sans pression garçon ! (Pourtant Dieu sait que je suis adepte de la pression… blague bretonne facile)

Quand on joue, jamais oh grand jamais, ne penser à ce fossé entre le spectateur et le comédien ! Ne jamais s’imaginer dans le rôle de l’autre, c’est vertigineux (et ce dans les deux sens). Enfin si, juste une fois, pour
l’expérience !

La prochaine fois que vous jouez si à cause de cet article vous vous retrouvez dans cette situation, n’hésitez pas à partager votre expérience !

Pour les plus curieux, voici le teaser d’époque de la pièce que j’allais jouer ce jour là (Le bruit du silence, mes : W. Kibsa  Balima)

Mise à jour de l’article : 16 avril 2019

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