Les comédiens ont généralement une connaissance bien plus avancée de ce qu’est la sensation d’état modifié de conscience que la plupart des gens (bien que nous autres bretons ayons une connaissance avancée de ce que peut être un état de conscience altérée). En effet, c’est généralement par cet état que s’opère « la magie du jeu ». C’est le moment où l’on n’est plus tout à fait soi-même; ou plutôt le moment ou l’on devient totalement soi-même mais dans un état d’esprit autre que celui de notre quotidien. Et le travail du comédien est souvent de réussir à conserver l’équilibre dans cet état de conscience modifié mais maîtrisé. Etre à mi-chemin entre sa conscience quotidienne et la transe irraisonnée.
Un comédien peut être habile, tenté d’être aussi naturel que possible, feinter d’incarner totalement son personnage, malheureusement s’il n’est pas naturellement dans l’état de conscience de son personnage, l’arnaque se verra, il sera lui-même le premier au courant. Bien sûr il dupera certains spectateurs et selon le contexte dans lequel il jouera, il n’y aura pas forcément de gravité à ne pas avoir réussi à grimper dans la charrette de son personnage mais,qu’il en soit sûr, le spectateur averti percevra parfaitement dans l’œil du comédien comme une dissonance, celle pour le comédien d’être dans son état de conscience quotidien et non dans celui du personnage. Et moi qui me mange moult et moult visionnages de bandes démo pour notre rubrique Observatoire de démos, je peux vous dire que je vois cette différenciation de plus en plus vite. Mais attention, à nouveau, selon le contexte, ce n’est pas nécessairement un mal.
Pour moi entrer dans cet état modifié de conscience se fait volontairement. Je construis cet état. C’est comme si de mes petites mains je fabriquais la maison dans laquelle j’allais loger un certain temps, et je me suis fait une clef, que je possède seul, pour entrer dans un univers dont j’ai créé le décor seul mais VOLONTAIREMENT. L’état de conscience que j’ai créé c’est mon oeuvre, c’est ma création, c’est ce qui fait de moi un acteur singulier. C’est parce que je l’ai fabriqué comme un artisan, en conscience, à partir de mon expérience propre, de ma technique propre, des mes envies propres, qu’il pourra fasciner une audience. Je pourrai le modifier encore et encore selon mes goûts ou les demandes mais cet état de conscience est MA création, je le maîtrise, j’y rentre selon mes conditions et une fois dedans il me permet de partager mon Art avec sincérité et confiance car il est « fait maison » et pour les plus tendances d’entre vous je dirais même qu’il est DIY, Yo !
Pourquoi est ce que je parle de tout ça ? Dans mon approche du jeu, être capable de modifier rapidement son état de conscience pour le faire coller à celui du personnage est une qualité importante à perfectionner sans cesse. Car une fois la modification effectuée tout devient plus simple, tout devient naturel. Je dirais même que le naturel prend la place du travail. Instinctivement tous les éléments qui étaient travaillés indépendamment se coordonnent naturellement : la corporalité et les mouvements du personnage, sa façon de parler, son écoute, son rythme…
De part l’importance que j’accorde dans mon jeu à la recherche de cet état modifié de conscience assez LOGIQUEMENT je me suis intéressé vers les divers articles, vidéos portant sur l’hypnose, l’auto-hypnose, l’auto-suggestion (dont c’est la grande mode actuellement, de pair avec les vidéos sur l’épanouissement personnel). Suite à cette publicité pour Diesel et dont les comédiens sont a-priori sous hypnose, je me suis demandé notamment si l’hypnose n’était pas une solution parfaite pour permettre aux comédiens de jouer naturellement et de façon désinhibée; je me suis renseigné avant d’émettre mon jugement (personnel) : Non, jouer sous hypnose je ne souhaite pas l’apprendre.
Oui les techniques d’auto-suggestion et autres (d’ailleurs beaucoup utilisées dans le travail de Stanislavski) sont d’une aide précieuse pour se conditionner, se relaxer… Mais finalement tout celà ne nous vient pas tant en apprenant l’hypnose qu’en apprenant notre métier de comédien. Je me suis rendu compte qu’avant de m’intéresser à ce lien entre les concepts de l’hypnose et l’art de jouer, je savais déjà par mes propres techniques arriver à ce conditionnement. Bien sûr acquérir de nouvelles connaissances ne peut pas être un désavantage mais encore une fois, si les techniques d’auto-suggestion me semblent saines pour se « conditionner » avant de jouer, en revanche je ne crois pas en cette vision de comédiens jouant naturellement juste après avoir été hypnotisés par une tierce personne qui prendrait donc la direction d’acteur à son compte. Si je ne crois pas à cette tendance, ce n’est pas tant pour son manque d’efficacité (je n’en sais rien, ça marche peut être très bien, et honnêtement dans le cadre du travail je pense que ça serait intéressant à tester), c’est en revanche pour tout ce que j’ai écris au début de cet article : l’acteur doit être un artiste, voire un artisan, qui construit en pleine conscience les fondations de l’état modifié de conscience dans lequel il souhaite entrer. Et même une fois à l’intérieur de ce nouvel état de conscience, le comédien doit être capable de conserver dans un coin de cerveau une place infime pour sa conscience « quotidienne » qui lui permettra de magnifier son rôle, d’être à l’écoute des indications du réalisateur, de gérer son positionnement face à la caméra, de pouvoir facilement rester en « suspens » entre 2 prises si besoin… bref de maîtriser SA création. Et tout celà se crée grâce à un travail en amont, un travail de réflexion, de choix à prendre, de répétitions mais aussi grâce à des « trucs de comédiens » comme certaines techniques personnelles dont je peux vous parler dans ce blog parfois (je recherche mon équilibre entre attention et concentration, je me crée des monde-objets, je m’invente une relation avec mon personnage, …). Quand ce travail est profond, avec l’expérience, il devient très facile d’entrer et sortir de l’état de conscience de son personnage et de garder la main sur son Art.
J’ai eu comme une révélation, je trouve que cette image colle hyper bien avec la dernière phrase au-dessus non ? Crédit image : Android Jones androidjones.com |
L’erreur de beaucoup de comédiens est souvent de se conditionner pour arriver à une émotion, ce qui peut amener à des résultats très aléatoires, là où le conditionnement doit davantage se faire afin d’entrer dans l’état de conscience de son personnage. Mais ceci doit se faire de façon humaine, pas comme une machine, ni grâce à un pouvoir hypnotique extérieur à la singularité de chaque acteur. Un chef d’oeuvre, qu’il s’agisse d’une oeuvre musicale ou picturale, DOIT porter en lui la création consciente de son artiste.
Je crois donc que le comédien doit être finalement capable par lui-même de partager son état de conscience avec celui de son personnage en donnant davantage d’importance à l’un ou à l’autre selon la situation. Un peu comme si sur un ordinateur partagé en 2 écrans vous aviez la possibilité d’agrandir ou diminuer l’un des écrans, d’y inscrire des infos chez l’un ou chez l’autre, de les inverser, d’en faire disparaître l’un derrière l’autre en sachant que l’on peut récupérer rapidement l’un ou l’autre…
Ma réflexion n’est pas encore figée sur tout ceci, c’est du Work in Progress. Et vous, qu’en pensez vous ?